5 de nov. 2009

Un roman de quartier

S.V.

Un roman de quartier. Une enquête de Mendez
Francisco González Ledesma
Traduit de l'espagnol par Christophe Josse
L'Atalante, 2009

"Votre monde est en train de mourir, Mendez (...) cessez de croire à ce qui a disparu".
Pourtant, on va encore avoir besoin de lui. Lui, le vieil inspecteur à deux doigts de la retraite, "autant dire que je suis à deux doigts de l'état post-mortem", se demande bien pourquoi on fait appel à lui.
"Parce que vous connaissez les rues. Vous traînez encore ça et là, vous discutez à droite et à gauche, vous faites la queue chez les coiffeurs pakistanais et vous allez aux enterrements des vieux syndicalistes, des chanteurs de chorale et autres vedettes locales" lui répond Monsieur M., le commissaire principal.

Alors Mendez va se mettre au boulot et faire ce qu'il sait le mieux faire: ramper, traïner là où plus personne ne va, là où ceux qui restent sont au seuil de la mort. Il va piquer des sprints d'au moins cinq mètres pour crocheter, poumons en feu, cette vieille frappe qui usinait sous Franco. Il va offrir des fleurs aux putes sans âge planquées dans des maisons bourgeoises qui, après avoir lutté avec toute leur dignité contre un cancer hargneux et tenace, voudraient pouvoir jeter l'éponge avant de se liquéfier totalement.

Mendez a des alliés. On a les alliés qu'on mérite.
Monsieur Carrasco, par exemple "illustre patron d'un illustre bar". Mis en retraite anticipée par une boîte aux objectifs ouvertement opportunistes, il avait ouvert ce bar qui ne pouvait s'appeler que L'Anticipée.
On y servait du café, divers rafraîchissements, des plats maison, de la bière locale et des orujos à l'authenticité "vérée puisque livrés de Galice par un compatriote, et décorés d'une estampille.
La presse est avec lui! Amores a dû se recycler dans la radio. La concentration capitaliste, c'est-à-dire la fusion financière et cérébrale, conduit à ce qui'il y ait de moins de journaux et de plus en plus d journalistes. "Voilà pourquoi je bosse à la radio comme vacataire, m'sieur Mendez (...) Et comme je ne peux pas causer de la libération de la femme ni de l'émancipation ouvrière puisque c'est chose faite d'après le Gouvernement, dites-moi s'il y a du nouveau dans l'affaire du cadavre de l'immeuble promis à la démolition".

D'autre part, il a la connaissance des lieux et un sacré savoir-faire!
"-Tu aurais dû voir que je surveillais l'immeuble. C'était facile à repérer.
-J'ai pas fait gaffe. Comment vous étiez déguisé?
-En fils de pute, crache Mendez, comme ça je passe inaperçu".

J'avoue être un inconditionnel de Mendez en particulier, des romans de Ledesma en général. J'y trouve tout d'abord une truculence qui me réjouit. La vigueur de son style a de quoi réveiller les morts les plus sceptiques. Son regard sur l'histoire de sa ville, Barcelone, est fait d'ironie et de raillerie. Il est acerbe, incisif, juste.
En même temps, il pleure de nostalgie pour une ville pleine de vie et d'humanité qui laisse inexorablement la place aux intérêts commerciaux, financiers, aux lobbies de l'immobilier. Et Mendez, Ledesma, n'y peut rien.
En même temps ses romans truffés de petites gens sont d'une grande sensibilité. Ces personnages complètement paumés, perdus, décalés au milieu des requins me sont proches.
J'apprécie quand le flic prend le petit délinquant par l'épaule, regarde à droite puis à gauche, et le laisse filer en lui promettant une volée monumentale s'il le surprend à nouveau à forcer un attaché ciasse.

Et toute cette humanité si présente dans le livre comme dans toute l'oeuvre de Ledesma n'empêche pas l'auteur de nous gratifier d'une histoire fantastique de tueur à l'américaine, avec un final à vous couper le souffle.
Encore un chef-d'oeuvre de Francisco Gonzalez Ledesma.
Lisez ce bouquin. C'est vraiment que du bon!

La vaque qui lit, 105, novembre 2009